Géopolitique des arbres: comment avoir des forêts harmonieuses [VIDEO]

PopScience s'est associé aux participants du programme Ma Thèse en 180 secondes. Dans cet épisode, Eugénie Mas, doctorante à l'EPFL, nous explique ses recherches sur la diversité des forêts. Où l'on apprend que les arbres peuvent cohabiter harmonieusement... ou pas. Comme les humains.

«Les arbres se parlent. Entre voisins, ils communiquent et s’entraident. Mais s'il y a les bons voisins, il y en a aussi de mauvais! Entre ceux qui viennent piocher dans votre frigo comme Joey ou ceux qui font la fête tous les samedis soir, des voisins agaçants, on en a déjà tous connus.

Agaçantes ou pas, ces relations sont essentielles dans notre quotidien, pour nous, mais aussi pour les arbres. Une forêt, ce n’est rien de plus qu’un énorme quartier d’espèces végétales qui cohabitent. Un quartier qu’il faut protéger: cet écosystème si unique où chaque espèce, animal, végétale, microorganisme interagissent ensemble nous fournit plein de services. Ce sont les services écosystémiques.

Mais avec le réchauffement climatique, la multiplication des canicules et des sécheresses, cet écosystème fragile est menacé. A cause des chaleurs qui se répètent, les arbres devront transpirer encore pour abaisser leur température. Ils devront aussi prélever plus d’eau dans le sol. Et certains arbres ne sont pas très partageurs. Par conséquent, on observe de plus en plus de dépérissements de forêt chaque année dans le monde entier.

«Eviter une guerre entre les arbres»

Pour préparer nos forêts aux conditions climatiques de demain, et éviter une guerre entre les arbres, une des solutions souvent évoquées, c’est de privilégier les forêts mélangées avec beaucoup d’espèces d’arbres. À la différence d’une monoculture, où il y a une seule espèce, une forêt mélangée est en théorie plus résistante et résiliente aux sécheresses et aux canicules, car les arbres peuvent s’entraider. Mais est-ce qu’on en est si sûrs?

En réalité, cela dépend aussi du voisin avec lequel ils cohabitent. S’ils sont chanceux, les arbres peuvent avoir des voisins sympas qui les aident à passer l’été en se partageant les ressources en eau dans le sol quand elles viennent à manquer. Le sapin et le hêtre par exemple sont très bons amis, car leur relation réduit leur sensibilité aux sécheresses et même augmentent leur production de bois.

Toutefois, s’il y a de bons voisins, il y en a aussi de mauvais qui vont accaparer toutes les ressources et ne rien laisser aux autres. L’égoïste, par excellence! Le chêne, par exemple, avec ses racines profondes, aura plus tendance à écraser le hêtre en épuisant l’eau du sol pour ne rien lui laisser.

La diversité n’est pas une martingale

Ce n’est pas tout: même si la relation entre voisin est bénéfique quand tout va bien, elle peut se dégrader quand les conditions deviennent plus difficiles et même devenir négative. C’est typiquement le cas des mélanges pins et chênes qui partagent leur ressource équitablement en temps normal, mais qui sortent les armes dès que les ressources viennent à manquer.

Pour les arbres comme pour les humains, les relations entre voisins sont complexes et dépendent de différents facteurs. C’est pour cela qu’il est très difficile d’avoir une vérité absolue sur le rôle de la diversité par rapport à la résistance aux sécheresses et canicules des forêts.

De nombreuses recherches montrent le pouvoir de la diversité. Elles disent que plus le voisin est différent, plus la forêt est productive et résiliente aux sécheresses. De mon côté, j’ai démontré qu’un voisin différent dans une situation défavorable comme lors d’une sécheresse n’est pas forcément intéressant, surtout si l’arbre lui-même n’est pas adapté à son environnement et qu’il est en compétition avec un Rambo.

Voir aussi: Les arbres peuvent être obèses, et c’est notre faute

Dans le cas de la résistance aux sécheresses, le rôle de la biodiversité est plus nuancé, car ça dépend de beaucoup d’éléments comme l’espèce des arbres, leurs caractéristiques et les conditions environnementales.

Beaucoup de recherches doivent encore être réalisées, comme celle lancée avec l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) pour tenter de décrypter ces relations complexes entre voisins dans les forêts pour un jour pouvoir mieux les préparer aux défis à venir. Mais ce qui est sûr, c'est que comme pour nous, un bon voisin peut faire toute la différence, surtout pour les arbres qui ne peuvent pas déménager!»