abo La Suisse aime l’ARN, mais pas encore le messager

Une réunion dans un amphithéâtre de l’Université de Berne aide parfois à comprendre ce qui se joue dans l’industrie pharma suisse et mondiale. Au Swiss RNA Therapeutics Summit, fin janvier, tout le monde était convaincu que la molécule d’ARN est théoriquement capable de traiter ou de guérir de très nombreuses maladies. Des opportunités que la Suisse aborde petit bras, en sabordant un programme de recherche à Zurich. Pour autant, Roche, Novartis et tant d'autres réinvestissent massivement le domaine.

La plateforme d'ARN messager de l'hôpital universitaire de Zurich./Heidi.news
La plateforme d'ARN messager de l'hôpital universitaire de Zurich./Heidi.news

Malgré ses deux mètres et ses études à l’Ecole Normale Supérieure de Paris, Steve Pascolo a appris la modestie. Il est pourtant un des pionniers de ces vaccins à ARN messager récompensés par le Nobel de médecine 2023. En 2000, il a co-fondé l’entreprise Curevac à Tübingen en Allemagne (lire le chapitre 5 de notre Exploration). En 2003, il a été la première personne au monde à recevoir une injection d’ARN messager synthétique. Il se porte très bien, 20 ans après.

Lire notre grande enquête: Vaccin à ARN messager: la revanche des outsiders

Steve Pascolo est aujourd’hui chercheur à l’hôpital universitaire de Zurich. Il tente de développer cette technologie de l’ARN en Suisse. Mais nul n’est prophète dans son pays, y compris d’adoption. «J’ai présenté un projet de pôle national de recherches (NCCR) sur l’ARN messager ,mais il n’a pas été retenu par l’Université de Zurich pour candidater au Fonds national qui s’apprête à sélectionner ces grands programmes», confie-t-il.

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Steve Pascolo./Heidi.news

C’est étonnant, parce que Steve Pascolo avait créé en 2017 à Zurich une plateforme de production d’ARN messagers synthétiques pour les fournir aux groupes de recherche intéressés, de Lausanne à Genève en passant par Bellinzone. Et aussi parce que l’ARN messager fait l’objet de nombreux essais cliniques et plus encore de programmes de recherche partout dans le monde, maintenant que les vaccins Covid ont démontré qu’il est utilisable en médecine.

«L’ARN messager n’est pas utile que pour produire des vaccins contre les maladies infectieuses, poursuit Steve Pascolo. On peut s’en servir pour des vaccins anticancer qui vont diriger le système immunitaire contre les cellules tumorales. Au-delà, comme cet intermédiaire transforme les plans génétiques contenus dans les gènes de l’ADN en protéines, il est candidat pour produire n’importe laquelle de ces molécules.»

Protéines à la demande

C’est prometteur, parce que le bon fonctionnement des protéines est la base biologique de la santé. Si vous êtes diabétique, c’est parce qu’il vous manque une protéine: l’insuline. Si vous développez Alzheimer, c’est parce que des protéines de votre cerveau sont tout à coup malformées. Un cancer? Parce que la machinerie génétique déraille et produit des protéines tumorales. Bref, les protéines c’est vous, c’est moi. Par conséquent, la bonne santé de cette machinerie cellulaire c’est, dans une large mesure, la bonne santé tout court. Or, on estime qu’entre 10% à 15 % des protéines humaines sont impliqués dans des maladies. Mais seulement 2 % interagissent aujourd’hui avec des médicaments approuvés.

Sachant ce potentiel, on comprend l’enthousiasme de Steve Pascolo. «Maitriser l’ARN messager cela peut vouloir dire produire des hormones manquantes pour rétablir la communication entre cellules ou des enzymes qui produisent des réactions chimiques essentielles à la vie.» A Lausanne, les professeurs Grégoire Courtine et Jocelyne Bloch se servent par exemple du caractère transitoire des ARN messagers pour tester la régénérescence de cellules nerveuses dans le cadre de leurs recherches sur la paraplégie. Un peu désespéré à force de vouloir convaincre, Steve Pascolo ajoute: «On pourrait même l’utiliser dans des applications cosmétiques, par exemple pour produire des protéines d’élastine qui ,en disparaissant, sont une des raisons du vieillissement de la peau.»

Cet immense potentiel sera-t-il exploité en Suisse? Steve Pascolo est pessimiste. «Le temps long et la stabilité du budget d’un NCCR aurait permis des avancées mais là je suis malheureusement plutôt en train de fermer les collaborations tissées depuis cinq ans par notre plateforme, faute de visibilité, faute de soutien financier. Cependant tout espoir n’est pas perdu et des discussions sont en cours avec l’Université de Zurich.»

Une poignée de start-up

Certes, on objectera que ce n’est pas aux universités de développer des nouveaux médicaments, mais aux entreprises de biotechnologies.  Au Swiss RNA Therapeutics Summit de Berne, le 25 janvier, l’ARN messager faisait cependant figure de parent pauvre. «Il n’y a n a qu’une poignée de biotechs suisses (Inofea, Palto, Altamira et Haya, ndlr.) qui sont actives sur les ARN thérapeutiques (aucune vaccinale, ndlr.) et une seule sur l’ARN messager (Versameb)», constate Sonja Merkas, consultante dans la recherche le développement et la production pharmaceutique et biotechnologique.

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Sonja Merkas./Swiss RNA Therapeutics Summit

Sans surprise, Klaas Zuideveld, le directeur de Versameb, une entreprise fondée à Bâle en 2017 par Friederich Metzger, l’ancien directeur de la recherche sur les maladies rares du groupe Roche, confirme le potentiel thérapeutique de l’ARN messager. «L’ARN messager produit des protéines endogènes. Il porte les instructions nécessaires à la cellule pour synthétiser une protéine en utilisant sa machinerie biologique interne. Cela signifie que l’ARN peut cibler ou remplacer beaucoup plus de protéines impliquées dans des maladies avec des fonctions plus précises et une efficacité plus élevée. En outre, le temps de développement d’un nouvel ARN messager candidat à une thérapie se compte en semaines quand il faut des mois pour une protéine recombinante (produite en bioréacteur par génie génétique comme l’insuline humaine ou les anticorps monoclonaux, ndlr.) et des années pour une petite molécule chimique.»

Cancers et incontinence

(Chère lectrice, cher lecteur, il reste trois quarts de cet article à lire)

Versameb se sert de cette technologie qu’elle a protégé avec huit brevets pour développer des ARN messagers destinés à modifier le micro-environnement des tumeurs cancéreuses afin de le rendre plus perméable à diverses thérapies.

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