«Netanyahou a commis une erreur monumentale et finira par devoir quitter le pouvoir»

OPINION. Ancien ministre israélien sous Ehud Barak et député à la Knesset pour le parti de gauche Meretz (qu'il dirige), Yossi Beilin a été négociateur des Accords d’Oslo et de l’Initiative de Genève. Il nous livre ici son analyse des événements actuels en Israël et Palestine.

Rassemblement des familles et soutiens des otages israéliens captifs à Gaza, le 18 octobre 2023 à Tel-Aviv. | Keystone / AP / Petros Giannakouris
Rassemblement des familles et soutiens des otages israéliens captifs à Gaza, le 18 octobre 2023 à Tel-Aviv. | Keystone / AP / Petros Giannakouris

La mort d’une conférence pour la paix


Les reportages de Heidi.news de chaque côté du mur, «Palestine, terre d’humiliation» et «Israël, terre de promesses», ont été publiés au printemps 2023. A la rentrée, nous les avons rassemblés dans une revue imprimée, qui intégrait aussi une partie de l’enquête «Ouvrir la boîte noire de Tsahal» publiée l’an dernier. Pour terminer ce cycle sur le Proche-Orient, nous avons organisé une conférence qui devait se tenir le 18 octobre à la Maison de la Paix, en partenariat avec le Geneva Graduate Institute.


Cela correspondait aussi aux 30 ans des Accords d’Oslo, en 1993, et aux 20 ans de l’Initiative de Genève, en 2003, deux développements historiques qui n’ont pas tenu leurs promesses.


Ce débat devait faire le point de la situation sur le terrain, dégager des pistes pour une paix durable et passer en revue le rôle des acteurs extérieurs, notamment la Suisse. Mais l’attaque du Hamas le 7 octobre a bouleversé les esprits, les agendas et les possibilités de voyager, notamment pour les Palestiniens de Cisjordanie. Il était dès lors impossible de l’organiser: nous l’avons reporté au début 2024.


En attendant des jours meilleurs, nous avons posé les trois mêmes questions d’éclairage à trois des participants à la table ronde: l’avocate palestinienne Hiba Husseini, qui a conseillé les négociateurs palestiniens à plusieurs reprises, Riccardo Bocco, professeur émérite à l’IHEID et spécialiste du Proche-Orient, et Yossi Beilin, ancien ministre israélien, négociateur des Accords d’Oslo et de l’Initiative de Genève. La parole à ce dernier.

Quel est pour vous le contexte des événements actuels?

Le monde arabe est divisé entre des forces pragmatiques et des mouvements islamistes extrêmes. Cette division caractérise les Palestiniens et s'exprime par la tension permanente entre le Fatah et le Hamas. Il y a quelques décennies, le Fatah était un mouvement d'étudiants palestiniens, créé au Caire par la deuxième génération de réfugiés palestiniens, dont l'objectif était de retourner en Palestine et d'effacer l'État juif, avec l'aide des pays arabes. Le Hamas était une branche des Frères Musulmans, confrérie créée au Caire en 1928.

Le Fatah était un parti politique, devenu le parti dominant de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui appelle à la création d'un Etat palestinien sur l'ensemble des territoires de l'ancien mandat britannique. Le Hamas était un mouvement religieux qui se concentrait sur l'aide sociale et l'éducation. Mais tous deux ont changé à la fin des années 1980. Le Hamas est devenu un parti politique qui appelle à l'anéantissement d'Israël et à l'établissement d'un État islamique théocratique. L'un de ses bras s'occupe de l'aide sociale, l'autre de la terreur contre Israël. Le Hamas est devenu l'ennemi juré du Fatah.

En novembre 1988, l'OLP, dirigée par le Fatah, s'est engagée à dénoncer le terrorisme et à accepter la résolution 242 de l’Assemblée générale des Nations unies, qui reconnaissait (indirectement) Israël. Lorsque les accords d'Oslo ont été signés par l'OLP et Israël, le Hamas s'y est opposé de toutes ses forces et a fait preuve d'une grande violence à l'égard des Israéliens. En 2006, le Hamas a participé aux élections du Conseil législatif palestinien, a obtenu la majorité et a formé un gouvernement d'unité de courte durée avec le Fatah. En juin 2007, après une confrontation cruelle et violente avec le Fatah à Gaza, le Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza et y a mis en place des institutions proto-étatiques. Tous les efforts déployés pour ramener sur le devant de la scène l'Autorité palestinienne dirigée par le Fatah ont échoué.

Le Hamas avait besoin d'une sorte d'Armageddon pour changer la donne, avec l’espoir de voir se rapprocher sa vision de l'État islamique. L'attaque de type «Daech» contre les habitants des kibboutz et moshavs israéliens dans le sud d'Israël le 7 octobre est aussi à comprendre comme une tentative pour le Hamas de gagner les faveurs des Palestiniens dans le cadre d’un conflit interne, en plus de vouloir affaiblir et ébranler Israël. L'opération terrestre prévue par Israël vise à remplacer la direction du Hamas par l'Autorité palestinienne ou une tierce partie. Quoi qu’il en soit, Israël ne devrait pas retourner dans la bande de Gaza.

Quel chemin voyez-vous vers la paix?

L’histoire nous apprend que la paix suit la guerre. Pendant longtemps, les camps de la paix palestinien et israélien qui proposaient de nouvelles idées et des projets d'accords ont surtout été accueillis par du cynisme. On nous disait que notre conflit était insoluble, que des récits aussi divergents de part et d’autre ne nous permettraient pas de faire la paix. Que la droite en Israël était plus forte que jamais, que la partie palestinienne était divisée entre la Cisjordanie et Gaza, de sorte qu'il n'y avait pas d'interlocuteur palestinien unique pour Israël. Que les dirigeants du monde étaient des pompiers et que s'il n'y avait pas le feu au Moyen-Orient, aucun d'entre eux ne consacrerait de temps à pousser ce rocher de Sisyphe qu’est devenu le processus de paix entre les Palestiniens et les Israéliens.

Aujourd'hui, la situation est très différente. Si, à la suite de l'opération terrestre, les dirigeants du Hamas sont boutés hors de Gaza, Israël n’aura plus qu’un seul partenaire potentiel pour la paix: l'OLP, dirigée par le président Abbas. La division du camp palestinien aura cessé d’être, et elle ne servira plus de prétexte à la mise sur pause des négociations israélo-palestiniennes en vue d'une solution permanente.

En Israël, il est impossible de penser que la coalition d'extrême droite au pouvoir, dirigée par Bibi Netanyahu, l'emporte après la guerre actuelle. Avec ou sans commission d'enquête, l'histoire est connue: ce gouvernement a préféré traiter avec le Hamas plutôt qu'avec l'OLP, parce qu'il était opposé à la solution des deux États et que le Hamas du même avis. Le fait très clair que le Hamas est un Daech palestinien, révélé le 7 octobre 2023, a explosé au visage de Netanyahou et de son gouvernement. Il s'agissait d'une erreur stratégique fondamentale, loin devant les interrogations sempiternelles sur qui savait exactement quoi, ou si quelqu’un a négligé certains éléments d’information (sur l’attaque en préparation, ndlr.).

Cette erreur monumentale découle d'une idéologie très dangereuse, et c'est pourquoi Netanyahou devra mettre fin à sa longue carrière politique, en démissionnant de lui-même ou sous pression de l'opinion publique. Un gouvernement israélien de centre-gauche, dirigé par un homme d'État qui croit en une solution à deux États, changera la donne.

Qu'attendez-vous des acteurs extérieurs?

Au bout du compte, c'est une question de personnes, pas d'Etats. Il est urgent de trouver un dirigeant qui comprenne le risque d'une explosion au Proche-Orient, qui se soucie des deux parties, qui comprenne qu'elles sont toutes deux victimes, et qui soit prêt à investir du temps et de l'énergie dans un effort visant à réunir les dirigeants pragmatiques des deux parties pour les convaincre de faire le compromis de leur vie.

Le dirigeant d'une superpuissance qui décide d'intervenir dans la résolution d'un conflit devient instantanément un acteur — comme Jimmy Carter, indispensable au processus de paix israélo-égyptien —, car il peut allouer des ressources financières, amener avec lui une coalition d'autres pays, mettre en place des forces multinationales de maintien de la paix si nécessaire, etc.

Le dirigeant d'un petit pays est en général plus souple, dispose de plus de temps et peut mener une diplomatie de la navette, ce qui peut s'avérer essentiel pour réussir. Dans mes efforts pour la paix, j'ai été aidé par les dirigeants de petits pays (la Norvège pour l'accord d'Oslo, la Suède pour les accords Beilin-Abu Mazen), mais il est difficile d'établir des règles dans ce domaine. Mieux vaut attendre qu’un homme politique se préoccupe de la situation.

Il ne s'agit pas seulement d'aider les parties à négocier entre elles. Il s'agit d'organiser des conférences publiques et d'inviter Palestiniens et Israéliens à présenter leurs points de vue et à donner leurs idées. Il s'agit aussi de venir en visite officielle dans la région pour prouver aux deux peuples que le monde ne les a pas abandonnés et n'a pas renoncé à résoudre leur long conflit.

Cet article exprime le point de vue de son auteur, et non une prise de position de Heidi.news. La distinction entre les faits et les opinions est à la base du journalisme.