«La guerre conduira à la dévastation et ne garantira en rien la sécurité d'Israël»

OPINION. Hiba Husseini, à la tête du cabinet d'avocats Husseini & Husseini à Ramallah (Cisjordanie), a été conseillère juridique auprès des délégations palestiniennes lors des négociations avec Israël. Elle nous livre ici son analyse des événements actuels en Israël et Palestine.

L'armée israélienne se prépare à envahir la bande de Gaza, le 23 octobre 2023. | Keystone / EPA / Hannibal Hanschke
L'armée israélienne se prépare à envahir la bande de Gaza, le 23 octobre 2023. | Keystone / EPA / Hannibal Hanschke

La mort d’une conférence pour la paix


Les reportages de Heidi.news de chaque côté du mur, «Palestine, terre d’humiliation» et «Israël, terre de promesses», ont été publiés au printemps 2023. A la rentrée, nous les avons rassemblés dans une revue imprimée, qui intégrait aussi une partie de l’enquête «Ouvrir la boîte noire de Tsahal» publiée l’an dernier. Pour terminer ce cycle sur le Proche-Orient, nous avons organisé une conférence qui devait se tenir le 18 octobre à la Maison de la Paix, en partenariat avec le Geneva Graduate Institute.


Cela correspondait aussi aux 30 ans des Accords d’Oslo, en 1993, et aux 20 ans de l’Initiative de Genève, en 2003, deux développements historiques qui n’ont pas tenu leurs promesses.


Ce débat devait faire le point de la situation sur le terrain, dégager des pistes pour une paix durable et passer en revue le rôle des acteurs extérieurs, notamment la Suisse. Mais l’attaque du Hamas le 7 octobre a bouleversé les esprits, les agendas et les possibilités de voyager, notamment pour les Palestiniens de Cisjordanie. Il était dès lors impossible de l’organiser: nous l’avons reporté au début 2024.


En attendant des jours meilleurs, nous avons posé les trois mêmes questions d’éclairage à trois des participants à la table ronde: Yossi Beilin, ancien ministre israélien, négociateur des Accords d’Oslo et de l’Initiative de Genève, Riccardo Bocco, professeur émérite à l’IHEID et spécialiste du Proche-Orient, et l’avocate palestinienne Hiba Husseini, qui a conseillé les négociateurs palestiniens à plusieurs reprises. La parole à cette dernière.

Quel est pour vous le contexte des événements actuels?

Pour les Palestiniens, il s'agit de se libérer de l'occupation, d'exercer leur droit à l'autodétermination, de mettre fin à 75 ans de souffrance et de mettre un terme au conflit. Nous nous demandons toujours pourquoi Israël fait tout ce qui est en son pouvoir pour maintenir le conflit. Pourquoi les gouvernements israéliens successifs insistent-ils sur une politique de gestion du conflit alors que tout indique que la violence va éclater, encore et encore? Les Palestiniens ont averti, en privé et en public, que la poursuite de l'oppression et de la souffrance conduirait à une insécurité accrue.

Depuis l'assassinat du Premier ministre Itzhak Rabin en 1995, Israël a décidé que les Palestiniens n'étaient plus un partenaire pour un quelconque accord de paix. Au lieu de cela, il a cherché à rendre infranchissable la séparation entre la Cisjordanie et la bande de Gaza, à isoler Jérusalem-Est et à exercer une plus grande emprise sur les lieux saints, en particulier la mosquée Al-Aqsa. Israël a intensifié la construction de colonies autour de Jérusalem-Est et dans la zone C. Aujourd'hui, il y a plus de 750’000 colons en Cisjordanie, dont 250’000 à Jérusalem-Est.

La guerre conduira à la dévastation et ne garantira en rien la sécurité future d'Israël. La politique israélienne, soutenue par les États-Unis, a consisté à normaliser les relations avec les voisins arabes. Israël a même délimité avec le Liban une «frontière du gaz naturel», qui laisse les Palestiniens de côté. Cette politique a échoué. La question palestinienne est redevenue une priorité absolue et très urgente.

Israël pensait pouvoir ignorer les Palestiniens et maintenir des territoires divisés sous son contrôle. Il n'a pas su lire les signes et les avertissements. Ce faux sentiment de maîtrise totale de la situation l’a aveuglé. Certains observateurs ont parlé d'arrogance — peut-être est-ce le cas. L'Occident, lui, a tourné son attention vers d'autres priorités, comme l'invasion russe de l'Ukraine et les affaires intérieures. L’Occident a négligé la question palestinienne alors qu’il est, pour la plupart des Palestiniens, le principal responsable de l’accaparement de leurs terres par Israël.

Quel chemin voyez-vous vers la paix?

Arrêter l'invasion terrestre! Pas de transfert de population de Gaza vers l'Égypte ou la Jordanie. L'ONU doit entrer dans Gaza et administrer l'aide humanitaire, notamment les médicaments, la nourriture, l'eau et le carburant. L'ONU doit rester sur le terrain à Gaza pendant au moins six mois afin qu’un cessez-le-feu soit instauré et respecté, et que la libération des otages et prisonniers de guerre soit assurée. Le Hamas ne doit pas être autorisé à reprendre le contrôle de l'administration de Gaza. L’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas n'a aucune légitimité en Cisjordanie, et encore moins dans la bande de Gaza. Elle ne pourra donc jouer aucun rôle. Une autorité internationale et arabe chapeautée par une agence palestinienne doit prendre le relais jusqu'à ce que les Palestiniens soient en mesure de s'autogouverner et de s’autoréguler. La communauté internationale doit être présente pour garantir qu'Israël ne gâche pas cette opportunité.

Qu'attendez-vous des acteurs extérieurs?

L'ONU, à la tête d'une force multinationale, doit intervenir pour administrer, réhabiliter et reconstruire Gaza. Tout cela en attendant de passer de la gestion des conflits à leur résolution, une fois pour toutes, sur la base de l’égalité politique. L'Irlande, l'Afrique du Sud et d'autres conflits ont été résolus de manière équitable: le conflit israélo-palestinien peut l'être aussi. Cette guerre doit être un signal d'alarme pour l'Occident, qui devrait cesser de choyer Israël en raison de sa propre culpabilité!

Une invasion terrestre ne fera que prolonger le conflit et polariser le monde entre un camp des bons et un camp des méchants. Il s'agit là d'une mauvaise politique pour résoudre un conflit, quel qu'il soit. Des parties neutres comme la Norvège, la Finlande ou la Suisse, ainsi que l'Arabie saoudite et d'autres pays arabes qui ont normalisé leurs relations avec Israël, peuvent jouer un rôle essentiel pour rétablir le calme afin que la cause profonde du conflit soit traitée et résolue. La Cisjordanie et la bande de Gaza doivent être reliées et connectées. Un plan Marshall doit être rapidement mis en place.

Cet article exprime le point de vue de son auteur, et non une prise de position de Heidi.news. La distinction entre les faits et les opinions est à la base du journalisme.