L’histoire absurde du «speed» et de l’époque où la drogue dure soignait le rhume

Découvertes il y a un siècle, amphétamine et méthamphétamine demeurent à ce jour les stimulants les plus puissants jamais avalés par l’homme. Lequel se croyait alors capable de pousser des rochers en haut des montagnes. D’abord commercialisées comme des vitamines, elles seront interdites et criminalisées dans les années 1970. Depuis, les amphétamines ont trouvé une nouvelle légitimité sur le dos des enfants et du trouble du déficit de l’attention. La méthamphétamine, elle, dont les effets pharmacologiques sont pourtant identiques, a sombré dans les affres de la délinquance. 

Dessin: Malka Gouzer avec Delphone Presles, pour Heidi.news
Dessin: Malka Gouzer avec Delphone Presles, pour Heidi.news

Dans les années 2000, le poil faisait peur. Nous, mes copines et moi, épilions nos aisselles, nos jambes et nos entrejambes et ensuite, c’est à la loupe et au miroir grossissant que nous inspections les lieux. Terrifiées à la perspective du follicule égaré, nous nous scrutions entre nous, exterminant jusqu’à la trace de l’ombre du dernier résistant. Vingt ans plus tard, le tableau s’est inversé. J’ai des copines qui s’enduisent de pommades spéciales destinées à faire repousser ce qui a été radié. Le ticket de métro, c’est pour la génération Facebook, disent-elles, et ce qui plaît aujourd’hui, ce sont les forêts vierges.

Lisez l’introduction (libre accès) de cette grande enquête: «Ce que j’ai subi, c’est une lobotomie chimique»

Ce désir que nous avons de retourner vers ce qui est naturel, brut et, pensons-nous, authentique, se manifeste dans une variété de domaines, dont celui de l’alimentation, du vin, des thérapies et des jardins. Les pelouses uniformes et les buis taillés, par exemple, nous font gerber. Ce que nous louons à présent ce sont les vieux troncs remplis de bestioles et de pourriture, la mousse, les limaces et les hérissons. Faut dire qu’il y a des phases, aussi. Des phases d’ascension et des phases de chute. Sisyphe qui pousse son rocher vers les cimes, Sisyphe qui voit son rocher dévaler la pente. En ce moment, le rocher dévale. Nous constatons avec effroi que les bactéries que nous pensions avoir domptées nous résistent, que des virus de pangolins, de chauve-souris et d’autres créatures ignorées jusqu’alors peuvent paralyser la marche du monde, et que la terre brûle. Elle brûle avec la même colère que notre système immunitaire en panique à la vue d’une miette de gluten ou de pollen.

La fête est finie

Ne sachant que faire, ni comment nous en sortir, nous retournons bredouille vers la Terre, celle que nous appelions jadis la déesse mère. Nous la supplions de nous pardonner et de nous reprendre en son sein. Nous lui disons qu’elle est belle, que nous l’aimons comme elle est, sans artifices ni chirurgie et qu’à l’avenir, c’est promis, nous veillerons sur elle. Elle, évidemment, s’en beurre. Elle n’a jamais douté de sa supériorité. Qui sème le vent récolte la tempête, voilà ce qu’elle nous dit. Vos endométrioses, vos éboulements et vos méduses, vous les avez cherchés, vous n’avez rien voulu entendre, donc maintenant, c’est à vous d’assumer vos péchés. Cette claque éducationnelle qu’on se prend aujourd’hui en pleine figure rend maussade. Même si on refuse de se l’admettre, on sent bien que la fête est finie et que l’ère de la domination de l’homme sur la mère et les mers arrive à échéance.

Plus possible non plus de balancer un mégot de cigarette par la fenêtre ou de monter dans un avion sans se faire couvrir de tomates et d’insultes. Ce n’est plus seulement la Terre-mère qui nous punit, mais ses hommes, nos frères, les nôtres, bref, nous-mêmes.

Au diable, bouillottes et tisanes!

Il y a un siècle, lorsque les hommes nous ouvraient encore la portière et qu’ils se chargeaient des additions, ce retour de boomerang, on ne s’en souciait guère. A l’exception éventuellement de Rudolph Steiner et de quelques autres partisans des sciences occultes, nous aspirions pleinement et avec la plus grande des insouciances aux progrès de la science. On venait de découvrir les vaccins, Bayer, l’aspirine et l’héroïne. La technicité nécessaire pour confectionner nos propres substances et molécules, sans dépendre des ressources et des humeurs de la Terre-mère, s’offrait enfin à nous.

Heureux de pouvoir se distancier une bonne fois pour toutes de la Terre et de l’humidité de ses entrailles, Sisyphe poussait avec entrain son rocher vers les cieux. Les bouillottes et les tisanes aux plantes séchées, on ne pouvait plus les voir en peinture. Ce qu’on voulait, c’était du neuf, des meubles en Formica, des seringues, du lait en poudre, de l’air conditionné et des moteurs. Plus on s’éloignait de l’organique, mieux on se portait. C’était l’âge d’or de la pharmacologie. Un domaine en ébullition qui nous faisait miroiter une domination, un contrôle et une éradication totale du mal sur Terre.

Le découvreur inconnu des amphétamines

Les chimistes du siècle dernier menaient des vies d’explorateurs et d’entrepreneurs. Ils incarnaient une sorte de croisement entre un Alexander von Humboldt et un Steve Jobs. Dans leurs laboratoires, ils bidouillaient des molécules, créaient de nouvelles substances aux formes introuvables dans la nature puis leur cherchaient une utilité révolutionnaire. Parmi elles, on note les sulfamides, la pénicilline, la cortisone, les tranquillisant, les anti-inflammatoires non stéroïdien, les bêtabloquants, l’insuline, l’adrénaline et l’amphétamine, toutes synthétisées au cours du 20e siècle.

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Certaines de ces substances connurent des naissances prématurées. La pénicilline, née en 1928, a dû attendre 1939 pour être retirée de sa couveuse et mise sur le marché. L’amphétamine arriva elle aussi en avance sur son temps. Elle fut synthétisée pour la première fois en 1887 à l’Université de Berlin par Laza Edeleanau, un Roumain alors âgé de 26 ans. Ce dernier y consacra sa thèse de doctorat, noircissant des pages et des pages de description de cet assemblage de huit atomes de carbone et d’un atome d’azote. On lui dit bravo, jolie découverte, summa cum laude, tape dans le dos et sa thèse fut rangée dans un tiroir.

Le temps de l’innocence

Il fallut attendre 1929, soit quarante ans après la découverte d’Eldeanau, pour que cette même molécule suscite un regain d’intérêt. C’est Gordon Alles, chimiste californien âgé de 27 ans, qui s’administra le premier une piqûre de 50 mg d’amphétamine dans le bras. Gordon Alles n’avait alors qu’une idée en tête: faire fortune en trouvant une molécule synthétique pouvant concurrencer l’éphédrine sur le marché des décongestionnants nasaux. L’amphétamine, structurellement proche de l’adrénaline et de l’éphédrine, lui paraissait un bon point de départ. C’est ainsi qu’il accomplit, comme ça se faisait à l’époque, une expérience que l’on pourrait appeler «en double clairvoyance», où le médecin-chercheur s’administre lui-même la substance avant éventuellement de la tester sur d’autres.

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