Quand le CICR parvenait encore à modérer l'armée israélienne à Gaza

Dernier épisode de cette série. A l'été 2014, Israël conduit l'opération «Bordure protectrice» à Gaza contre le Hamas, qui va faire plus de 1600 morts civils. A cette époque, le CICR maintenait un dialogue avec les deux parties et parvenait parfois, au prix d'efforts inouïs, à les convaincre de respecter le droit de la guerre et le droit humanitaire.

Soldats israéliens à l'entraînement près de Gaza, en août 2014. EPA/ILAN ASSAYAG ISRAEL OUT
Soldats israéliens à l'entraînement près de Gaza, en août 2014. EPA/ILAN ASSAYAG ISRAEL OUT

En 2005, Israël a retiré ses colons de la bande de Gaza, en y maintenant un strict contrôle et des campagnes militaires à répétition. S’ensuivent des combats fratricides entre le Fatah, issu de l’OLP, et le Hamas islamiste, qui en sort vainqueur en 2007. Mais les épisodes de guerre israélienne à Gaza se répètent, en 2008 et en 2014 avant celle démarrée le 7 octobre 2023. Gaza est alors le cauchemar humanitaire que l’on sait, où le CICR a de la peine à rester neutre quand tout le monde déroge aux Conventions de Genève.

Retrouvez les biographies des anciens délégués du CICR qui témoignent ici (libre d’accès)

Jacques de Maio

On peut faire le bilan des opportunités ratées, des échecs. Mais il y a deux ou trois choses sur lesquelles nous n'avons jamais flanché: la neutralité, l'objectivité dans l'analyse des problèmes, la recherche de solutions. Et ça, c'était une préoccupation constante qui ne se prêtait pas à la manipulation politique. Pour mettre ça en un mot, ce serait «être humanitaire». C'est-à-dire qu'à chaque fois que l'humanité est trempée dans le politique par la personne à qui vous parlez, que ce soit le prisonnier ou le gardien de prison, à chaque fois, vous évacuez ça et vous regardez le problème: «toi, à sa place là?»

Pas de temps à perdre

La neutralité, ce n'est pas un but. C'est un moyen, avec l'indépendance. Ce sont les deux socles sur lesquels se crée l'impartialité. Lors d’une de mes arrivées au Proche-Orient, au début de l’été 2014, trois jeunes Israéliens se sont fait kidnapper. Immédiatement, les Israéliens étaient en mode d'urgence. Ils pensent que c’est le Hamas et que leur vie est en danger. Pour notre personnel local, comme pour les médias palestiniens, ce n'était qu’un prétexte pour frapper les Palestiniens et accuser le Hamas à la légère. J’entendais: «On se calme! Si ça se trouve, ils sont en train de faire la fête quelque part dans une grotte!» Sauf que si vraiment ils avaient été kidnappés par des éléments, proches ou pas d'un mouvement armé établi comme le Hamas, alors il n’y avait pas de temps à perdre.

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J’ai donc appelé les services d'intelligence israéliens et je leur ai dit: «Je suis sincère et je vous demande si c'est du bullshit ou pas cette affaire». Les gars ont dit: «C'est pas du bullshit.» J’ai répondu que dans un cas de prise d’otages, les 48 premières heures sont les plus importantes. Et que nous, en tant que CICR, n’allions prendre aucune position qui soit de nature à mettre en danger leurs propres efforts pour retrouver ces personnes.

Une trahison?

Nouvelle difficulté: je ne suis pas là pour aider les Israéliens dans leur boulot. Mais je ne suis pas là non plus pour les empêcher, si ça se trouve, de sauver trois gamins qui ont été kidnappés. Pour moi, c'est clair, il y a un kidnapping. J'ai articulé mon dialogue avec le Hamas sur cette base-là: les kidnappings, les prises d'otages, c'est illégal. Et cela a été très, très difficile, parce que du côté palestinien il était considéré, y compris chez nos propres employés, que de s’exprimer en faveur de trois Israéliens qui se promenaient dans les Territoires occupés était une trahison de notre mission humanitaire.

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