Israël, Palestine, Liban: les onze anciens du CICR qui témoignent

Ils sont nés entre 1925 et 1963. Tous ont servi le CICR en Israël, en Palestine, au Liban et alentour, à une époque où leur mission était claire: éviter les souffrances inutiles de la guerre. Ils ont parlé à des terroristes, sauvé des otages, vu des atrocités, échappé à la mort. Voici par ordre alphabétique les onze biographies des protagonistes de notre série «Un demi-siècle dans les coulisses du Proche-Orient». Onze mémoires vivantes, dont les témoignages seront la substance des prochains épisodes.

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Carlos Bauverd

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Carlos Bauverd en 2009. | Frédéric Gonseth

Né à Madrid en 1953 d’une mère espagnole et d’un père suisse ayant été pro-nazi notoire et avec qui il règlera ses comptes en 2003 dans un livre (Post Mortem, éd. Libretto), Carlos Bauverd revient en Suisse pour ses études, se laisse tenter par le mouvement anarchiste avant de se ranger à l’influence d’un oncle et d’une tante, les Courvoisier, entrés au CICR en 1940. Après une licence de sciences politiques à Lausanne, il entre au CICR en 1977.

Délégué dans le Sinaï puis au Nicaragua lors de la chute du dictateur Somoza, il sera blessé en Angola et dirigera l’équipe médicale chargée de secourir un demi-million de réfugiés cambodgiens coincés entre l’armée thaïlandaise et les Khmers rouges. Durant la guerre Iran-Irak (1980-1988), il coordonne les opérations pour des dizaines de milliers de prisonniers de guerre dans la guerre Iran-Irak, puis retrouve des prisonniers considérés comme disparus dans une prison marocaine, assure la protection des prisonniers palestiniens et libanais lors de l’intervention militaire israélienne au Liban en 1982, notamment dans le gigantesque camp d’El Anzar. Il sera aussi des premiers à pénétrer dans les camps de Sabra et Chatila après le massacre de septembre 1982.

Nommé ensuite porte-parole du CICR, il participe à un projet de réforme des instances dirigeantes qui n’aboutit pas, ce qui le pousse à donner sa démission en 1997, ce qu’il décrit comme un «arrachement». Il rejoint alors l'Organisation internationale du travail avec un poste de direction. Ses propos ont été recueillis en 2009 par Frédéric Gonseth et Catherine Azad.

Martine Bourquin

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Martine Bourquin, par Daniel Maurer

Née en 1956 à la Chaux-de-Fonds, d’une mère pharmacienne italienne et d’un père médecin suisse, Martine Bourquin interrompt ses études de lettres pour devenir infirmière. Après un voyage en Inde, elle postule au CICR pour s’échapper des cliniques privées trop confortables. Elle est recalée pour manque d’expérience, appelle Médecin sans frontières et se retrouve en 1983 dans le nord de l’Afghanistan après une marche de 1000 kilomètres à travers l’Hindu Kush, à la barbe de l’occupant soviétique, du côté des moudjahidines.

Le CICR ne peut plus la refuser et l’envoie en 1984 comme infirmière à la frontière Cambodge-Thaïlande, puis au sud des Philippines et au Mozambique en 1988, dans des régions affamées. En 1989, durant la première Intifada, elle visite les détenus palestiniens dans les prisons israéliennes avant d’être appelée au Pérou en proie à la guérilla du Sentier Lumineux.

De retour au siège du CICR à Genève, elle forme de nouvelles recrues, participe à la création de la cellule de soutien psychologique et mène deux missions dans la Bosnie en guerre au milieu des années 1990 pour la gestion du stress post-traumatique. Suite à l'assassinat de plusieurs infirmières en Tchétchénie en 1996, elle accueille les survivants. Elle quittera le CICR en 1998 pour travailler comme indépendante pour des ONG ou le gouvernement suisse. Ses propos ont été recueillis en 2009 par Catherine Azad.

François Bugnion

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François Bugnon en 2009. | Daniel Maurer

Né en 1945 à Genève de parents suisses, il étudie les lettres, devient officier à l’armée et entre au CICR pour un «remplacement» de cinq mois dans la région Israël et Territoires occupés. Il y restera plus de deux ans. Plus tard au Bangladesh, en 1973, François Bugnion va devoir encadrer une gigantesque opération d’échange de populations avec le Pakistan, avant de se retrouver en Turquie à la fin de la guerre de Chypre. Il reprend alors des études de droit international, interrompues par des missions, dont une au Cambodge en 1979 qui sort de quatre ans coupé du monde par les Khmers rouges, renversés par l’occupant vietnamien.

Dans un contexte de famine générale, François Bugnion et Jacques Beaumont de l’Unicef lancent fin 1979 un appel conjoint qui fait le tour du monde et permet d’organiser une gigantesque aide aéroportée – laquelle restera dans les annales du CICR. Après son doctorat, il est nommé directeur du droit international et de la coopération au CICR, puis délégué général pour les pays de l’ancienne URSS.

François Bugnion est l’auteur de plus de 50 publications sur le droit international humanitaire et sur le mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Ses propos ont été recueillis par Marc-Antoine Schüpfer.

Jacques de Maio

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Jacques de Maio en 2022. | Frédéric Gonseth

Né en 1963 à Lausanne d’une mère suisse et d’un père italien, Jacques de Maio étudie les sciences politiques, sert dans l’armée comme grenadier puis entre au CICR à l’âge de 24 ans. Il effectue une première mission en Afghanistan et au Pakistan, avant d’enchaîner en Ouganda où il organise l’aide pour des dizaines de milliers de civils dans des zones de combat. Dès 1991, il met sur pied des missions d'urgence au Koweït, en Irak, en Azerbaïdjan, au Rwanda. Il part en mission dans la région Israël et Territoires occupés, auprès de 13'000 détenus palestiniens. De retour à Genève, il travaille sur le concept et la pratique de la «protection humanitaire» puis se rend au Pérou où se termine la guérilla du Sentier lumineux.

Il effectue plusieurs missions en ex-Yougoslavie entre 1990 et 1995, de Dubrovnik à Srebrenica en passant par Belgrade et Pristina. A partir de 2001, il est le chef des opérations pour la Corne de l’Afrique, avec la guerre Érythrée – Éthiopie en 2001, la Somalie et au Soudan, la crise du Darfour jusqu’en 2005, où il négocie l’accès pour le CICR. Entre 2007 et 2014, il est chef des opérations pour l’Asie du Sud. Là, il officie en Afghanistan lors de l’intervention de l’OTAN, en Pakistan, en Inde, au Népal et lors de la fin, «apocalyptique», dit-il, de la guerre civile au Sri Lanka.

Il sera enfin cinq ans chef de délégation en Israël-Palestine, jusqu'en 2018, puis conseiller spécial du directeur des opérations, avec des missions opérationnelles au Venezuela, en Haïti, en Tunisie et Libye et en tant que directeur régional Afrique ad interim. Il se retire du CICR en 2020, après 33 ans de service. Ses propos ont été recueillis par Frédéric Gonseth et Catherine Azad.

Michel Ducraux

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Michel Ducraux en 2009. | Patrick Tresch

Né en 1943 à Genève d’une mère caissière et d’un père chef de la police à Orbe (VD), il étudie les sciences politiques et le droit, milite au sein du mouvement trotskiste, devient greffier et enseignant. Il parvient à entrer au CICR malgré le dépassement de la limite d’âge (40 ans) et se voit nommer responsable de deux bureaux au Liban, l’un auprès des chrétiens maronites, l’autre du Hezbollah. «On rencontre des gens détestables, haïssables, des tortionnaires, dit-il. Néanmoins, si on veut obtenir quelque chose d'eux, cela ne sert à rien de commencer par les insulter.»

En Afghanistan à la fin 1989, alors que le régime post-soviétique tente de survivre aux attaques des Moudjahidines, il gère deux grands hôpitaux, visite des prisonniers, adresse leurs messages aux familles. Chef de délégation en Jordanie, puis en Syrie et en Irak, il travaille notamment dans les régions kurdes opposées à Saddam Hussein. En 1995, il retourne en Afghanistan comme chef d’une délégation qui comprend 120 expatriés et un millier d’employés locaux, assiste à la prise de Kaboul par l’alliance des Talibans et des Moudjahidines et négocie de pouvoir franchir les lignes de front quand les talibans chassent le commandant Massoud. On le retrouve en 1997 délégué régional en Inde avant une dernière mission de trois ans au Myanmar. Ses propos ont été recueillis par Frédéric Gonseth.

Jean-Jacques Frésard

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Jean-Jacques Frésard en 2023. | Frédéric Gonseth

Né en 1954 à Genève d’un père suisse et d’une mère allemande, il étudie le droit et la sociologie, sous l’influence de Jean Ziegler. Après avoir été objecteur de conscience, il entre au CICR en 1980 et effectue sa première mission en Jordanie puis se trouve à Bagdad lors de la guerre Iran-Irak avec pour principale activité les visites aux dizaines de milliers de prisonniers de guerre. En 1982, au Liban, il est un des premiers à pénétrer dans les camps de Sabra et Chatila où les milices chrétiennes ont massacré des centaines de réfugiés palestiniens.

Après une mission en Israël et dans les territoires occupés, il est chef de délégation en Éthiopie, où le CICR déploie une gigantesque opération en faveur des populations menacées de famine par la guerre, puis à Kaboul et au Cambodge au début des années 1990 où il obtient que le prince Sihanouk libère les prisonniers de Phnom Penh, dont il avait décrit les conditions de détention. Il rédige une étude sur le comportement des combattants en temps de guerre afin d’assurer un meilleur respect du droit international humanitaire et effectue ses dernières missions à Haïti, en Syrie et en Turquie, jusqu’en 2012. Ses propos ont été recueillis par Frédéric Gonseth et Catherine Azad.

Jean-Pierre Hocké

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Jean-Pierre Hocké en 2002. | Keystone / Fabrice Coffrini

Né en 1938 à Pully (VD) de parents suisses, décédé à Lausanne en 2021. Il étudie l’économie et obtient un poste de cadre au Nigeria d’une société commerciale française. Quand éclate la guerre du Biafra, en 1968, le CICR lui propose de partir immédiatement sur un terrain qu’il est le seul à connaître. Des corridors aériens sont mis en place pour soulager la famine dans cet Etat sécessionniste du Nigeria. Suivent de nombreuses autres missions au Proche-Orient, en Asie, en Afrique.

Jean-Pierre Hocké est délégué général au Moyen-Orient lors de la Guerre du Kippour, puis directeur des opérations du CICR dès 1973, très engagé sur le terrain, notamment pendant la guerre Iran-Irak où il rencontre Saddam Hussein. Il organise une intervention massive et conjointe avec l’Unicef au Cambodge à la chute du régime khmer rouge en 1979, puis lors des famines dues à la guerre en Éthiopie (1983-1985), et en Angola (1975 et 1981).

Il quitte le CICR en 1985 pour reprendre la direction du Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) de l’ONU, appuyé par le président américain Ronald Reagan, jusqu’à sa démission en 1989. En Bosnie, dans le cadre des Accords de Dayton, il préside la Commission internationale pour les restitutions de propriétés (330'000 restitutions à 1,5 million de personnes). Ses propos ont été recueillis par Frédéric Gonseth.

Jacques Moreillon

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Jacques Moreillon en 2009. | Frédéric Gonseth

Né en 1939 à Lausanne, de père suisse et de mère franco-anglaise. En 1957, il obtient une bourse d’un an aux Etats-Unis puis voyage en Europe durant ses études de droit à Lausanne, puis à l’IHEID à Genève, antichambre du CICR, où il entre à 26 ans pour sa première mission en Inde et au Pakistan en participant à des échanges de prisonniers. Au Vietnam, il obtient de faire reconnaître comme prisonniers de guerre les combattants armés non membres d’une armée régulière mais se battant ouvertement.

En 1967, il se retrouve pris entre deux feux dans la guerre des Six Jours entre Israël et la Syrie. L’année suivante, Jacques Moreillon participe aux secours aéroportés du CICR et aux visites de prisonniers de guerre au Biafra. En 1969, à 30 ans, il est chef de délégation en Israël, où il rend visite aux prisonniers palestiniens et diminue de 1 an à 1 mois leur durée de mise au silence. Juste après, au Paraguay, il attend 26 jours dans une chambre d’hôtel un rendez-vous avec le général Alfredo Stroessner pour obtenir l’autorisation de rencontrer les détenus politiques.

Dès 1972, il est délégué général pour l’Afrique et rend régulièrement visite à Nelson Mandela dans sa cellule de l'île prison de Robben Island. Membre de la direction du CICR en 1975, il quitte l’opérationnel du CICR en 1988 pour diriger le Mouvement Scout mondial, mais reste membre de l’Assemblée du CICR jusqu’en 2009. Ses propos ont été recueillis par Frédéric Gonseth.

André Rochat

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André Rochat en 2006. | Frédéric Gonseth

Né en 1925 dans le canton de Vaud, il meurt à Genève en 2009. Très tôt orphelin, il peine à l’école mais se plaît dans l’hôtellerie et au service militaire. Il sera directeur d’hôtel et capitaine avant de diriger l’Office du tourisme de Montreux, entouré de célébrités. En 1962, en raison de ses relations militaires, le CICR l’invite à reprendre la direction d’un hôpital militaire suisse en panne dans le désert yéménite. Il le remet sur pied, et rapidement, fait admettre le respect du drapeau CICR à tous les belligérants de cette guerre civile attisée par les pays voisins. A dos de chameau ou en avion, mêlant sens de l’initiative, de l’organisation, de la pédagogie, de la diplomatie et une réelle fascination pour les gens et les coutumes de la péninsule arabique, il permet au CICR de faire respecter les prisonniers et le soin aux blessés des deux camps. Il fait même la tournée des capitales du Moyen-Orient pour financer sa mission.

André Rochat dirige l’action du CICR au Moyen-Orient et négocie avec la première ministre israélienne Golda Meir quand s'enchaînent les détournements d’avions d’Athènes et de Zarka en 1970. Sa priorité est de faire libérer les otages en échange de la libération de prisonniers palestiniens en Israël, au grand dam du gouvernement israélien, qui fait pression pour que le CICR se sépare de celui qui, à Genève, est déjà considéré comme un électron libre. Il est licencié en 1971 et sera réhabilité en 2008 seulement, un an avant sa mort. Ses propos ont été recueillis en 2006 par Frédéric Gonseth et Catherine Azad, qui lui ont consacré un documentaire, La Citadelle humanitaire.

Pierre Ryter

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Pierre Ryter en 2022. | Frédéric Gonseth

Né en 1958 à St-Maurice, de père et mère suisses, il voyage très jeune en Turquie et en Afghanistan. Après des études de lettres, il enseigne puis rejoint le CICR en 1984. Sa première mission sera dans la guerre Iran-Irak, puis au Liban. A Genève il est en charge de l’Agence centrale de recherches pour l’Asie. En 1989, en Afghanistan, il assiste au départ des Soviétiques puis enchaîne avec une mission en Indonésie. Durant le première Intifada (1987-1993), il est chef adjoint en Israël-Palestine puis en charge du dossier à Genève. A la fin des années 1990, il mène des missions en Algérie en pleine décennie noire, puis en Côte d’Ivoire juste avant le déclenchement de la guerre civile.

Par la suite chef de délégation en Turquie puis en Iran (2009-2013) et enfin à Pékin (2013-2016), avec la diplomatie humanitaire comme principale activité. En 2019, il a travaillé au sein d’une commission de l’ONU chargée d’établir les crimes de guerre en Syrie. Ses propos ont été recueillis par Frédéric Gonseth et Catherine Azad.

Daniel Züst

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Daniel Züst en 2010. | Jens Rövekamp

Né en 1949 à Lucerne, il fait un doctorat en droit à l'université de Zurich et obtient le brevet d'avocat à Berne. Il enseigne à la Haute école spécialisée en travail social à Berne avant d’entrer au CICR en 1984. Il passe deux ans en Afrique du Sud puis ailleurs en Afrique avant de servir au Liban, en Iran et dans les territoires palestiniens occupés en 1989-1991.

Après cela, il se dirige vers les questions de développement en reprenant des études à l’EPFZ, et travaillera en Tanzanie pour l’Institut tropical et de santé publique suisse et participera comme expert suisses du DFAE à la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud en 1996 et 1997. A partir de 1999, il œuvre pour la DDC, au Kosovo, au Tadjikistan, en Albanie et enfin au Mozambique jusqu'à sa retraite en 2014. Ses propos ont été recueillis par Thomas Gull.