Que compte faire Carole-Anne Kast pour le numérique à Genève?

Le gouvernement genevois élu en avril 2023 a choisi de donner au numérique une dimension de politique publique en l’intégrant explicitement au département confié à la socialiste Carole-Anne Kast. La conseillère d'Etat à la tête du Département des institutions et du numérique confie à Heidi.news, dans son bureau de la rue de l’Hôtel-de-Ville, qu’aucun journaliste ne lui a encore posé des questions sur cet aspect de sa mission. Il était donc temps.

Carole-Anne Kast est en charge du Département genevois des institutions et du numérique depuis juin 2023. | Keystone / Martial Trezzini
Carole-Anne Kast est en charge du Département genevois des institutions et du numérique depuis juin 2023. | Keystone / Martial Trezzini
Heidi.news — Pourquoi avoir mis le mot «numérique» dans le nom de votre département?

Carole-Anne Kast — C’est une décision du Conseil d’Etat. La répartition des départements, y compris leur nom, est une décision collective. Mes collègues et moi-même sommes convaincus qu’il s’agit d’un des grands enjeux de l’action publique, raison pour laquelle il se trouve parmi les trois axes de notre discours de Saint-Pierre (discours d’investiture du 31 mai 2023 , ndlr.). Le numérique n’est pas seulement un support de travail, c’est un fait sociétal qui doit être appréhendé comme tel. Le Canton de Genève s’est doté d’une politique numérique en 2018. Faire de la transition numérique un axe politique prioritaire à part entière s’inscrit donc dans la continuité. Nous voulons porter des projets autour de cette thématique, pour passer du conceptuel à la mise en œuvre.

Les Genevois ont décidé d'inscrire l'intégrité numérique dans la Constitution, est-ce que ça va modifier la manière dont le Conseil d'Etat aborde le numérique?

Je pense plutôt que ça le conforte dans son approche d’en faire un enjeu majeur. Le résultat écrasant – plus de 94% de «oui» – lors de cette votation montre qu’il y a une prise de conscience partagée: le numérique est une question transversale. Nous avons désormais un mandat clair de la population pour faire émerger cette thématique dans l’entier de l’action publique.

Est-ce que le fédéralisme a encore un sens à une époque où la numérisation pousse les cantons à adopter de plus en plus de processus standardisés pour faciliter les échanges?

Bien sûr. Le vote genevois en faveur du droit à l’intégrité numérique en est le parfait exemple. Le fédéralisme offre la possibilité d’apporter des solutions du bas vers le haut. Nous devons continuer de permettre des expérimentations locales, qui peuvent ensuite servir d’exemple pour les autres cantons.

Justement, le canton de Genève s’est montré pionnier dans le numérique à plusieurs reprises, que ce soit avec le vote électronique ou le dossier électronique du patient. Aujourd’hui, ces projets sont gérés d’en haut, à l’échelle de la Confédération, et Genève a mis ses systèmes à l’arrêt. N’est-ce pas la preuve qu’il y a un problème avec l’approche politique actuelle?

Je ne crois pas. Cela illustre parfaitement ce que je disais précédemment. Sans l’expérimentation genevoise sur le vote électronique, la Suisse aurait probablement 20 ans de retard en la matière. Ce n’est pas la Confédération qui a stoppé le projet, mais le Conseil d’Etat. Nous n’avions pas, au niveau structurel, les garanties suffisantes pour porter ce projet seul. Aujourd’hui, le dossier avance à l’échelle du pays. Trois cantons ont récemment pu voter électroniquement grâce au système développé par La Poste.

La Poste est un tiers supplémentaire, alors que le canton de Genève maîtrisait l’infrastructure…

Ce n’est pas n’importe quel tiers. Il s’agit d’une entreprise en mains publiques. Est-ce qu’un canton a vraiment vocation à développer lui-même un tel système et d'être prestataire pour d'autres cantons? C’est désormais la Confédération qui gère cette question, et elle exerce un contrôle important, à travers une loi qui fixe les règles pour le vote électronique.

Quel rôle l'Etat doit jouer dans le numérique?

Il a plusieurs missions à remplir. En matière de sécurité, il doit s’assurer que la criminalité en ligne ne reste pas impunie, et il doit imposer le respect de certaines règles à travers la régulation, par exemple en matière d’exploitation des données personnelles, pour garantir le respect de l’intégrité numérique. Dans sa relation avec le citoyen, il doit s’améliorer. La population attend de l’Etat qu’il soit performant dans son usage du numérique, en proposant des solutions qui simplifient les démarches. Sur le plan du choix des infrastructures ou des logiciels, l’Etat doit privilégier l’indépendance autant que possible.

L’affaire du piratage du prestataire Xplain, qui a touché plusieurs polices cantonales et Fedpol – Genève n’est directement pas concerné – nous rappelle l’importance de la souveraineté numérique, sujet sur lequel nous collaborons avec nos partenaires cantonaux . Il faudra aussi saisir les opportunités qu'offre l'intelligence artificielle. Enfin, il y a la dimension de l’inclusion: l’Etat doit maintenir des services physiques, tout en luttant contre la fracture numérique.

Sur ce dernier point, comment voyez-vous les choses? L’administration va simplement continuer à créer des prestations et service en ligne, tout en conservant l’existant?

Non, ce n’est pas la vision du Conseil d’Etat de simplement ajouter un niveau et il est nécessaire de réfléchir à l'évolution nécessaire de l’administration. Nous pouvons imaginer un guichet unique pour certains offices, avec des personnes capables de répondre aux questions et aux besoins des citoyens pour les différents services et prestations concernés.

L’Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) a par exemple mis en place des démarches prometteuses. La numérisation ne va pas toujours de soi, même pour les habitués. Parfois, la rigidité d’un formulaire en ligne empêche d’aller au bout d’une démarche, ce qui contraint en temps normal les citoyens à se rendre sur place pour régler leur problème. L’OCPM propose actuellement la possibilité de prendre un rendez-vous téléphonique en ligne. Ainsi le citoyen n’a pas besoin de se déplacer, et il peut échanger avec un fonctionnaire qui a pris connaissance de son dossier avant l’entretien.

On voit souvent l'administration prendre des décisions en matière de numérisation, sans forcément que cela ait fait l'objet de discussions politiques. Est-ce que ça va continuer?

Il y a toujours des discussions politiques, même si celles-ci ne sont pas forcément visibles lors des séances plénières du Grand Conseil. Les projets sont examinés en commission, et votés par l’ensemble du Parlement. C’est peut-être l’un des derniers domaines où il n’y a pas de querelles partisanes entre la gauche et la droite. Lorsqu’un projet est bon, il est accepté, et lorsqu’il est mauvais, il est retoqué.

Si vous deviez choisir un projet à faire aboutir d’ici la fin de la législature, lequel serait-il?

J’aimerais que l’Etat puisse permettre aux citoyens de ne déposer un même document qu’une seule fois, pour autant qu’ils donnent leur consentement pour que l’information soit traitée par d’autres services. Aujourd’hui, si vous annoncez votre changement d’adresse postale à un service, les autres ne seront pas au courant. Dans certains cas, vous devez même demander à l’Etat de vous générer un document pour ensuite le présenter ailleurs au sein de l’administration. C’est le cas pour le revenu déterminant unifié, très souvent indispensable pour des demandes de prestations sociales.

L’enjeu ici n’est pas technique, mais dans la manière de travailler. Ne serait-ce que d'avoir une approche unique au sein de l’administration pour identifier les citoyennes et citoyens, par exemple au moyen du numéro AVS.