«Protéger la biodiversité est une intervention de santé publique»

Le Conseil des Etats a débattu ce 13 juin du contre-projet à l’initiative biodiversité. Pour le biologiste Antoine Guisan et le médecin Nicolas Senn, qui s'exprimaient avant les débats, protéger la biodiversité est un enjeu de santé publique.

Des membres de Pro Natura placent des dominos avec des images d'animaux et de plantes lors d'une action qui visualise l'effet domino de la crise de la biodiversité, le lundi 22 mai 2023 sur la Place fédérale à Berne. Photo: KEYSTONE/Peter Klaunzer
Des membres de Pro Natura placent des dominos avec des images d'animaux et de plantes lors d'une action qui visualise l'effet domino de la crise de la biodiversité, le lundi 22 mai 2023 sur la Place fédérale à Berne. Photo: KEYSTONE/Peter Klaunzer

Mardi 13 juin, le Conseil des Etats se prononcera sur le contre-projet à l’initiative biodiversité («Pour l’avenir de notre nature et de notre paysage»). Si cette dernière sera dans tous les cas soumise au vote populaire en 2024, le sort du contre-projet dépend quant à lui du Conseil des Etats.

Le Conseil des Etats a rejeté ce mardi matin, par 28 voix contre 14, le contre-projet à l’initiative biodiversité. «C’est un nouveau coup bas dans la politique environnementale et climatique de la Suisse», réagit Lisa Mazzone, conseillère aux Etats (GE/Vert-e-s).

En effet, ce contre-projet est déjà plébiscité par de nombreux acteurs de la société civile, ainsi que par le Conseil national, mais il doit encore être entériné par le Conseil des Etats pour être soumis au vote populaire. Le vote à venir de la chambre haute du Parlement sera donc crucial pour nous donner une chance d’enrayer l’érosion vertigineuse de biodiversité en Suisse et permettre ainsi de préserver le bien-être et la santé de la population Suisse.

A la recherche du lien perdu avec la nature

La biodiversité peut être définie comme «l’ensemble du vivant et de ses interactions». Elle représente donc le fondement des écosystèmes qui nous fournissent de nombreux bénéfices indispensables au fonctionnement de notre société: alimentation, santé, régulation du climat, qualité des sols, qualité de l’air, qualité de l’eau, valeurs culturelles, ou encore loisirs.

Et pourtant, cette biodiversité décline partout de manière inquiétante, y compris en Suisse, où elle n’est pas encore considérée à sa juste valeur dans les décisions politiques.

En effet, depuis plusieurs siècles, dans notre société occidentale, la nature (et plus spécifiquement la biodiversité) est considérée comme une ressource inépuisable dont on n’a pas à se soucier. Cette vision s’est probablement accentuée ces dernières décennies avec une majorité de la population vivant dans des paysages transformés. Le lien avec la nature est devenu plus artificiel, procurant le sentiment illusoire qu’il est possible de s’en passer.

Le vivant, à la base de la santé

Sans biodiversité, pas de purification de l’air et de l’eau, pas de sols fertiles, pas de pollinisation et donc pas de production agricole, pas de régulation du climat, pas de lieu de relaxation et de ressourcement, et bien moins d’inspiration culturelle. Tous ces aspects constituent des dimensions de ce qu’on dénomme souvent les «services écosystémiques». Et parmi ceux-ci, la liste serait incomplète si on ne mentionnait pas le rôle essentiel de la nature et de sa biodiversité pour notre santé. Continuer à laisser les milieux naturels se dégrader ou disparaître, et la biodiversité s’effondrer, c’est donc aussi prétériter le futur de la santé humaine.

A court terme, l’exposition à la nature baisse la tension artérielle et les marqueurs de l’inflammation, améliore la santé mentale. Ces choses-là sont presque intuitives, qui se sentirait en effet plus stressé en se promenant sur un paisible sentier forestier plutôt qu’au bord d’une autoroute? Même si les interactions entre la biodiversité et la santé sont complexes, certainement pas entièrement élucidées, un nombre croissant d’études montre déjà clairement l’importance d’être suffisamment exposé à la nature.

Certaines études montrent une diminution de la mortalité associée à une plus grande exposition aux espaces verts et aux milieux naturels, même en ville. C’est un fait important: il ne suffit pas d’aller de temps en temps en forêt, mais c’est notre milieu de vie qui compte, nos habitudes quotidiennes.

Certes la nature ne nous est pas toujours favorable, il peut y avoir des maladies transmises par des tiques, des moustiques, on peut faire des allergies... mais la balance bénéfices-risques penche clairement en faveur d’être entouré de la plus grande biodiversité possible. En d’autres termes, si la nature peut être parfois hostile, la dégrader aussi massivement qu’aujourd’hui nous mène assurément vers des problèmes de santé bien plus graves encore.

Protéger la nature, prévenir les maux?

Les principes de santé publique ont conduit notre société à concevoir des espaces de vie et de travail sain (par exemple, des espaces sans fumée, sans pollution) et d’édicter des recommandations pour assurer notre bien-être (par exemple, des normes alimentaires ou l’activité physique). Alors pourquoi ne pas concevoir aussi la protection de la biodiversité comme une intervention de santé publique? En d’autres termes, concevoir la protection de la nature comme une forme de médecine préventive?

Murray Bookchin a écrit: «La capacité d’un écosystème à maintenir son intégrité ne dépend pas de l’uniformité du milieu, mais bien de sa diversité». Difficile de dire mieux l’importance de préserver la biodiversité... dans notre propre intérêt.

Il ne reste plus qu’à espérer que nos conseillers aux Etats se soucieront du bien-être et de la santé de la population, et plus généralement du soutien au bon fonctionnement de nos services écosystémiques, quand il s’agira, ce mardi 14 juin, de faire le bon choix.