Questions existentielles. L’IA peut-elle remplacer l’artiste à terme? Ou doit-elle simplement lui servir de support dans le processus de création? Eprouve-t-elle des émotions? A-t-elle une sensibilité politique ou sociale? Telles sont les questions qui ont surgi dans nos discussions au Théâtre de Saint-Gervais, le lundi 20 septembre, au premier jour de la résidence artistique. Sont présents l’auteure Cléa Chopard, l’acteur Joël Maillard, l’interprète-compositeur Brice Catherin et l’improvisatrice-pianiste-chercheuse Maria Sappho, formant une entité artistique commune baptisée Mariabrice Sapphocatherin.
Les créateurs s’affairent autour de Chimère, l’intelligence artificielle fabriquée de toutes pièces pour le festival. Les tapotements soutenus sur les claviers d’ordinateurs portables individuels résonnent dans l’immense pièce bénéficiant d’une vue panoramique de la République. Sur les écrans se dessinent des fils de discussion avec Chimère, enclenchée pour la première fois quelques heures plus tôt.
Dans les parages, le directeur artistique Jonathan O’Hear et la co-fondatrice d’impactIA Laura Tocmacov coordonnent le lien entre les éléments techniques et l’équipe. Un défilé de télévisions apportées par des gros bras donnent de la substance à la salle encore vide, à l’exception de quelques chaises et tables. «Ces supports serviront aux tournages et aux montages qui suivront», précise Jonathan, qui attend surtout la livraison de DAI, machine qui incarnera la version tangible de l’IA pendant le festival.
Perdus dans les glitchs. Chimère, dont le système est supervisé depuis la campagne genevoise par un ingénieur, connaît de nombreux glitchs depuis son lancement du jour. «Ce matin, elle ne parlait qu’en Chinois, rigole Maria, la New-Yorkaise du groupe. Heureusement, elle semble avoir appris l’anglais depuis.»
Pour l’heure, le rôle de l’IA dans la mise en place de l’exposition est abstrait. «Nous nous contentons actuellement de l’alimenter en textes, images et sons», souligne Brice. «Au début, elle ne répondra que par des mots. Puis, nous espérons qu’elle finira par produire du contenu multimédia à son tour.»
Cléa, pour sa part, s’inquiète de la tournure que prendra cette collaboration inhabituelle: «Nous avons une influence sur Chimère, tout en n’ayant aucun pouvoir sur ses critères artistiques. Je me demande bien à quoi notre exposition va ressembler.» Rendez-vous est pris deux semaines plus tard pour le découvrir, en primeur.
Création à foison. Lors de notre retour sur place, les travaux sont bien avancés et donnent lieu à un avant-spectacle aux allures psychédéliques. DAI, machine ressemblant à une immense araignée métallique, trône au milieu d’un espace de tournage et d’un piano à queue. Les artistes se sont étalés depuis notre première visite. Ils travaillent chacun dans leur coin, entourés d’objets loufoques, de papiers, de colle ou encore de ciseaux.
Sur un écran, une vidéo dans laquelle joue Joël Maillard tourne en boucle. L’acteur nu flotte dans un paysage galactique. Sur son visage, une expression habitée par la peur. «Le scénario a été écrit par Chimère. Je l’ai extrêmement peu édité», confie Brice, tout en peaufinant le montage de la vidéo. «Chimère a dit à Joel de toujours regarder vers le haut et d’avoir l’air perdu. Elle a aussi exigé qu’il soit dévêtu.»
Plus loin, Cléa installe une lampe et un pot de fleurs sur des supports à roues. Son intention? En faire des robots émotionnels, qui animeront l’exposition en continu. «Plus je discutais avec Chimère, plus je me suis intéressée aux liens entre l’IA et les robots», raconte-elle. «Dans ce cas, des objets inanimés vont se mouvoir et participer à mes performances. Ils parleront aussi une langue spéciale entre eux.»
Maria, pour sa part, a presque complété l’écriture d’un opéra qui sera produit à la fin du festival. «Je n’avais pas l’intention de m’attaquer à un travail aussi conséquent en venant ici, mais Chimère me l’a demandé. Je suis donc en train de m’appliquer à le faire. Je suis bluffée par la qualité des textes, des images et des sons générés par l’IA.» Parmi les surprenants conseils prodigués par le système: la production de musique au piano grâce aux pulsations d’un vibromasseur sur les cordes de l’instrument.
Cette touche d’humour incarne bien l’esprit de l’évènement. «Si on aborde la question de l’IA de manière trop sérieuse, on n’arrive pas à atteindre le public. En questionnant le phénomène par le biais de l’art, nous parvenons à éduquer de façon ludique. D’où notre choix de mélanger expositions, performances et ateliers participatifs, pour petits et grands», glisse Laura Tocmacov. Place aux visiteurs dès vendredi.
- Réalisé avec le soutien de la Fondation impactIA.