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Incapables de faire face à leurs dépenses ordinaires et imprévues, contraintes d’économiser sur l’alimentation pour maintenir leur budget à flot, les personnes financièrement démunies (et certaines couches des classes moyennes) se voient obligées de recourir à l’aide alimentaire. C’est aussi le cas des sans-papiers, des personnes déboutées de l’asile, ainsi que des détenteurs de permis F (réfugié temporaire, ndlr.) et N (requérant d’asile). Chaque semaine, plus de 14’000 personnes se rendent aux Colis du cœur, dans les petites associations ou les épiceries communales. A ces chiffres s’ajoutent ceux des épiceries Caritas, qui comptent plus de 160'000 passages en caisse en 2022 à Genève.
Passer d’une aide d’urgence à un droit fondamental est donc essentiel, évident et nécessaire. Nous, signataires de cette tribune et d’un manifeste pour le droit à l’alimentation, appelons la population à voter «oui» à l’intégration du droit à l’alimentation dans la Constitution genevoise. Celle-ci fera la différence pour toutes ces personnes, à bien des égards.
Dans notre Constitution fédérale et notre Constitution cantonale, le droit à des conditions minimales d'existence et le droit à la protection des besoins vitaux garantissent le droit d’être à l’abri de la faim. Mais pas le droit d’avoir accès à une alimentation adéquate, digne et choisie. Le droit à l’alimentation garantira une alimentation adéquate, c’est-à-dire suffisante en quantité et adéquate au plan nutritif, mais aussi adaptée aux habitudes et aux goûts des personnes.
Ajoutons que ce droit constitutionnel prendra la place d’une prestation sociale aux critères parfois opaques, et qu’il sera possible de réclamer son application en justice (puisqu’il s’agit d’un droit dit opposable).
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Enfin, ce droit promeut plus largement une alimentation respectueuse de l’environnement, favorisant les circuits courts et rémunérant correctement ses producteurs et productrices. Il vise à un système de production permettant de répondre aux besoins actuels, sans compromettre les ressources et capacités des générations futures. Sa réalisation dépend également d’emplois correctement rémunérés dans la société.
En tant qu’actrices et acteurs ayant suivi ce sujet de près, nous savons que ce droit fondamental permettra de redonner une certaine dignité à des personnes qui, dans l’aide d’urgence, souffrent de honte, de manque, d’inquiétude généralisée et de frustration, des émotions qui pèsent douloureusement sur leur santé psychique. Ce droit à l’alimentation compensera, au moins partiellement, les inégalités socio-économiques qui n'iront que grandissantes dans les décennies à venir si rien n'est fait.
Sa mise en œuvre nécessitera d’adopter une loi d’application et de mettre en place une véritable politique publique de l’alimentation, sans déléguer toute cette tâche au monde associatif et aux instances philanthropiques qui le soutiennent. Pensé et mis en place par un processus démocratique et participatif, le droit à l’alimentation débouchera sur différentes formes de justice sociale.
Les signataires
Sophie Buchs, directrice chez Caritas Genève
Yann Cerf, assistant de recherche à la HETS, HES-SO Genève
Anne-Laure Counilh, professeure à la HESTS, HES-SO Valais
Christophe Golay, chercheur à la Geneva Academy, professeur invité à IHEID
Laurence Ossipow, professeure à la HETS, HES-SO Genève
Aude Martenot, docteur en socio-économie, chargée de projet et de recherche dans diverses associations
Association La Farce, épicerie gratuite pour les étudiant.e.x.s